Dernier jour 17h22

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Reuters, Aldrin, aujourd'hui 17h22. Essais qualificatifs concluants pour le canon électromagnétique à haute cadence développé conjointement par l'armée chinoise et coréenne. Le prototype, installé en surface sur la base de défense 134, à cent kilomètres du dôme principal d'Aldrin, a tiré pendant quarante minutes à la cadence de 3400 coups par minute des projectiles de 83g à une vitesse de 340 km/s. Le porte-parole du consortium a déclaré avec fierté : « On a du mal à imaginer la puissance destructrice d'une telle salve, dont l'impact de chaque projectile est équivalent à une tonne de TNT ! » Des experts proches du consortium nord-américain concurrent ont remarqué que, sur l'installation américaine de Tycho, une batterie d'armes similaires était opérationnelle depuis un an, dont on murmure dans les milieux bien informés que la cadence de tir et la vitesse d'éjection seraient plus que dix fois supérieures.

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AK vit l'embuscade dès qu'il tourna au coin de la rue. Il repéra la camionnette tout-terrain aux vitres noires qui démarrait pour se mettre derrière lui tandis qu'un homme vêtu d'un poncho s'avançait pour barrer la rue devant eux. Alors, au lieu de s'arrêter, il enfonça à fond l'accélérateur et avec le rugissement du moteur et l'à-coup de la boîte automatique qui rétrogradait, il força l'homme à plonger sur le côté pour ne pas se faire écrabouiller. AK crut un instant qu'ils allaient s'en tirer comme cela. Cependant, il vit dans le rétroviseur que l'homme qui avait roulé au sol épaulait une arme automatique. D'instinct, AK baissa la tête. Mais la rafale était destinée aux pneus qu'elle massacra. Le volant devint erratique dans les mains d'AK. La voiture tira à gauche sur le sol mouillé. AK ne parvint pas à éviter un vieux camion garé là. L'impact fusilla le côté de la voiture qui rebondit tandis qu'AK freinait pour reprendre un semblant de contrôle sur les jantes. Il vit alors dans le rétro le tout-terrain qui arrivait à grande vitesse. Il comprit tout de suite que l'autre voulait le percuter. Il pensa à Ada et Michael dans le coffre et il mit toute sa force pour tourner à droite dans l'ouverture qui attendait là et qui se révéla être une courte impasse à l'intérieur d'un petit complexe industriel abandonné. Debout sur le frein, il se prépara à saisir son fusil à pompe. À peine la voiture immobilisée, il sautait dehors en épaulant, juste à temps. Il fit exploser les vitres de son poursuivant comme celui-ci ralentissait pour tourner à son tour dans le cul-de-sac. Le tout-terrain, du coup, n'acheva pas son virage et percuta le coin du mur avec violence. AK tira deux autres cartouches en espérant sincèrement toucher le conducteur qui avait disparu sous le tableau de bord. Puis il se pencha dans sa voiture pour attraper son kit d'émeute et courut ouvrir le coffre.

— Sortez ! cria-t-il bien inutilement à Ada et Michael qui jaillirent comme des diables.

« Là ! leur indiqua-t-il en pointant du doigt une porte défoncée dans le côté du bâtiment décrépit.

— Le téléphone ! cria en retour Ada.

AK revint vers la portière ouverte sans cesser de tenir son fusil tourné en direction de la sortie de la ruelle. Il jeta un coup d'œil à l'intérieur de la voiture. Le téléphone avait sauté du vide-poche et n'était pas en vue.

— Schwartz, il était là !

Ada s'engouffra dans la voiture.

— Ada ! cria Michael qui était en train de franchir la porte désignée par AK. Il fit demi-tour.

— Toi, reste là-dedans ! lui ordonna férocement AK en le pointant du doigt de sa main libre. Ada, sort de là ! Dégage ! ajouta-t-il à l'intention de la belle dont on ne voyait plus que les superbes fesses serrées dans le jean, comme elle fouillait à quatre pattes dans la voiture.

À cet instant, un chasseur supersonique passa au-dessus d'eux. Sans aucun bruit avant-coureur, une fulgurance sombre traversa le ciel, suivie aussitôt par la détonation phénoménale de l'onde de choc et le rugissement démentiel des turboréacteurs à fond de postcombustion. AK plia les genoux et le dos, et comme, estomaqué, il levait les yeux vers le ciel qui résonnait de grondements énormes, il vit trop tard la portière de la voiture accidentée qui s'ouvrait et des pieds qui touchaient le sol entre les roues. Le temps d'épauler et de viser, l'autre tournait le coin en courant. AK tira quand même, au jugé, sachant qu'il gaspillait une munition, sauf à faire peur à un opposant dont en vérité il doutait déjà qu'il ait pu lui faire peur en lui tirant dessus. Comme le grondement infernal du chasseur s'estompait à l'horizon, il perçut un mouvement au coin opposé et il tourna son fusil juste à temps pour cadrer au-dessus de son cran de mire le deuxième homme, le tireur, qui pointait son nez, son fusil d'assaut à l'épaule. AK tira au moment où l'autre se jetait en arrière, mais il le rata de très peu, et il sut que cela allait lui donner quelques instants de répit. Prenant son téléphone, il activa le signal d'urgence et cria dedans.

— AK à central, je suis attaqué par deux hommes armés. Demande renforts d'urgence.

Puis il se tourna vers Ada pour lui crier :

« Ada, sort ton cul de là !

— Je l'ai ! répondit la belle en sortant dextrement en marche arrière de la voiture.

Cavalcade dans un couloir jonché de résidus divers. AK s'arrêta au premier coin. Il posa son fusil contre le mur et il se mit à enfiler son gilet pare-balles sans quitter des yeux la porte qu'ils venaient de franchir. Il dit à Ada :

— Tu avais raison. Ils veulent votre peau, mais pas n'importe comment.

— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

— Ce connard a tiré une rafale au raz du sol, il visait les pneus. Il voulait nous empêcher de nous enfuir en évitant de nous blesser.

À nouveau un chasseur supersonique passa au-dessus de la ville, puis aussitôt un deuxième, et le vacarme interrompit la conversation, fit trembler les murs.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Ada en frissonnant d'inquiétude.

— Des avions de guerre supersonique en rase-mottes, fit Rita du fond de son sac dans le dos de Michael.

Ada et Michael échangèrent un regard, AK hocha la tête.

— Vous n'êtes pas les seuls à avoir de gros ennuis aujourd'hui.

Michael revint au sujet initial :

— Comment est-ce que ces deux salauds nous ont retrouvés ? demanda-t-il avec méfiance.

AK haussa les épaules.

— C'est moi, c'est clair.

Ada ouvrit de grands yeux et son visage afficha une expression de profonde stupéfaction, et de peur, elle se recula, se rangea derrière Michael.

« Non, Ada, je ne vous ai pas donné, soupira AK, c'est juste qu'ils ont tracé ma voiture, c'est évident. Est-ce qu'ils savaient que vous étiez dedans ? C'est probable. Comment ? Ça, c'est une bonne question, je penche pour le téléphone.

— Celui-ci ? fit Ada en montrant son butin.

— Non, celui-ci, fit AK en montrant son téléphone de fonction à son poignet, sans quitter le couloir des yeux.

« C'est sur celui-ci que Claire m'a dit où j'allais vous trouver.

— Schwartz ! fit rageusement Michael. On les avait décrochés ! À cause de vous, on les a aux fesses à nouveau !

AK hocha la tête.

— Désolé. Mais si c'est ça, cela signifie qu'ils ont de très gros moyens, ce type de téléphone est sensé être très sûr. Tu n'es pas d'accord Michael, c'est toi l'expert ?

— Non, je ne suis pas d'accord ! D'ailleurs, on était branché dessus tout à l'heure, avec Rita ! Quant à eux, avec un peu de chance ce sont des barbouzes, et alors, ils ont carrément une bretelle très officielle et très légale sur votre réseau.

Ada lui jeta un regard noir et lui demanda :

— Est-ce qu'ils ont pu bloquer l'appel de détresse qu'AK vient d'envoyer ?

Michael haussa les épaules.

— Évidemment.

Du fond de son sac, Rita prit à nouveau la parole :

— Je confirme qu'ils ont déployé un essaim de drones autour du bâtiment afin de former un réseau de brouillage qui nous coupe du monde.

Ce fut au tour d'AK d'ouvrir de grands yeux. Il prit son téléphone et refit l'appel, demanda confirmation. L'engin resta inerte.

— Schwartz ! fit-il avec stupéfaction. À cet instant, il crut percevoir un mouvement au bout du couloir. Sans délai, il épaula et tira deux fois, aspergeant de chevrotine la porte éventrée. Les détonations des munitions surpuissantes résonnèrent monstrueusement dans le couloir, et Ada mit ses mains sur ses oreilles. Elle commençait à peine à se redresser quand une autre paire d'avions passa sur eux au ras des toits, bang, bang, et c'était comme si le ciel avait été déchiré en deux et allait leur tomber sur la tête. Ada se tapit en grimaçant dans le renfoncement d'une porte, tandis que le fracas de vitres qui descendaient en fontaines de morceaux se faisait entendre. Ce vacarme fut bientôt masqué par une longue rafale d'arme automatique. AK s'écarta vivement du coin du couloir comme le plâtre tombait autour de lui. Il jura et tira à nouveau trois coups au jugé, avant de dégoupiller et de lancer une grenade qui fit résonner toute la structure.

Ada prit l'autre téléphone en demandant :

— Rita, est-ce qu'ils brouillent aussi celui-ci ?

— Je ne le pense pas, celui-là utilise une technologie militaire conçue pour être très difficile à brouiller.

Ada appela Morgan.